Cette semaine, je vous emmène découvrir un savoir-faire spectaculaire, celui de la fabrication de cloches monumentales. Et pas n’importe où ! Dans une fonderie qui a gardé une manière très traditionnelle de fabriquer les cloches. Alors, hâte de voir fumer le crottin de cheval et enterrer les cloches dans des fosses ? Direction le département de la Manche en Normandie pour une visite très moyenâgeuse à la fonderie Cornille Havard.
Visiter la fonderie de cloches Cornille Havard, c’est faire un bon dans un passé lointain. Un passé moyenâgeux où fondeurs de cloches et campanistes étaient légion. Une période où les paroissiens attendaient leur cloche comme le messie et où l’arrivée d’une cloche étaient une fête. Une période durant laquelle l’église avait une importance toute particulière et était, selon l’expression d’aujourd’hui, « au centre du village ».
Nous voici donc cette semaine à Villedieu-les-Poêles, dans la Manche, dans l’une des 3 dernières grandes fonderies restantes en France. On y fonde des cloches monumentales (destinées aux églises, cathédrales et abbayes), mais aussi des cloches plus petites ou des objets d’art. Ici, les cloches sonnent à tue-tête, les moules en argile et crottin de cheval fument de toute part et les artisans estampent minutieusement les futurs décors.
Cornille Havard, labellisé « Entreprise du Patrimoine Vivant », vous invite à découvrir un métier d’art qui a largement disparu en France, celui de fondeur de Cloches et de campaniste. N’hésitez pas à pousser leur porte pour découvrir cet univers exceptionnel.
Le savez-vous ? - Il n’existe que 3 grands fondeurs de cloches en France (un dans la Manche, un à Annecy, et un du côté d’Orléans). - La Fonderie Cornille Havard a fabriqué 8 cloches pour la cathédrale Notre-Dame de Paris - Il y a en France plus de 300 000 cloches dont 4 500 sont classées.
Mais c’est quoi cette histoire !
Au moyen-âge, avant que les fonderies n’existent, les fondeurs de cloches fabriquent les cloches sur le parvis des églises. Ils s’y rendent, souvent appelés par le curé du village pour refondre une cloche fêlée ou en installer une nouvelle. A chaque fois, leur arrivée est une fête.
Et tout le monde contribue à la conception de cette cloche. Quand elle n’est pas financée par le seigneur ou le notable des environs, ce sont les paroissiens eux-mêmes qui apportent de quoi la réaliser. Vieux sous, casseroles en cuivre, pots en étain, chandeliers, mais aussi de la terre, du suif de mouton, du chanvre ou des poils de chèvres. Ils n’hésitent pas non plus à mettre la main à la patte : les uns transportent les matériaux, les autres aident à la réalisation, et enfin les derniers montent la cloche jusqu’au sommet du clocher.
Les fondeurs de cloches (appelés les Saintiers) sont donc ambulants et sillonnent la France de village en village. Ils n’ont finalement pas besoin de transporter grand-chose avec eux, à part la planchette en bois gravée – appelée « Brochette » – qui comprend lettres, chiffres, éléments de décor et marque, et un petit compas. Tout le reste est fourni sur place par les villageois eux-mêmes.
Bien souvent, durant les guerres au moyen-âge, les cloches étaient détruites afin de réutiliser le métal pour fondre des armes ou des canons. Il y a donc eu de nombreuses pertes campanaires à cette époque dans nos villages, pertes qui ont dû être réparées par la suite et qui ont contribué à donner du travail à de nombreuses personnes.
Puis, les Saintiers se sont sédentarisés dans des ateliers et les premières fonderies ont vu le jour en Lorraine au 14e siècle.
La cloche, un objet sacré
Chaque cloche est baptisée et bénite. Avec ce baptême, la cloche reçoit donc un nom et devient un membre à part entière de la communauté. Jusqu’à la Révolution Française, elles sont mêmes inscrites dans l’état civil du village, au même titre que la naissance d’un enfant.
Comme la cloche appelle à la prière, elle est la voix de l’église et par là-même celle de Dieu. C’est pour cela qu’elle est souvent l’objet le plus haut du village, celui que l’on voit en premier.
La cloche rythme la vie quotidienne des villageois. Elle sonne les grands moments religieux de la journée, comme les mâtines, les angélus et les messes. Elle est également utilisée pour les mariages, les baptêmes et les enterrements. Mais elle indique aussi, depuis le Concordat en 1801, les heures de la journée.
Saintier, un métier très technique
On les appelait aussi, dans le langage populaire, des « Clochetiers » ou des « Clochetiaux ». Au nombre de mille dans les siècles passés, il n’en reste qu’une petite poignée aujourd’hui en France, réunis au sein de 3 grandes fonderies.
Les Saintiers étaient très présents en Lorraine. Pour une raison bien simple, ils fondaient aussi bien des cloches que des canons. Ces deux objets comportent le même alliage de bronze (78% de cuivre rouge et de 22% d’étain) et sont réalisés de la même manière. Et les pays voisins venaient se servir en France.
Le degré de technicité du métier est important puisqu’il faut à la fois maîtriser le feu, la terre, le métal et l’air. La technique de la fonte, les secrets du métier, la composition de l’alliage, la confection des moules se transmettaient de père en fils. L’apprentissage se faisait généralement auprès d’un membre de sa famille. Puis, les Saintiers prenaient souvent la route à 2 ou 3 pendant plusieurs mois (souvent 9 mois) au début du Carême (le mercredi des Cendres).
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Fabrication d’une cloche : un savoir-faire ancestral chez Cornille Havard
Chez Cornille Havard, la technique de fabrication d’une cloche monumentale n’a pas bougé depuis des siècles. Les moules sont un empilement de couches d’argile, de crottin de cheval et de poils de chèvre sur un noyau de briques. Et la fonte est toujours coulée à l’envers dans le moule, lui-même installé dans une fosse.
La modernisation de la fabrication s’est en fait jouée autour de la conception et de l’accordage des cloches. Car aujourd’hui une cloche Cornille Havard est d’abord conçue numériquement en fonction de sa note. On en déduit son gabarit, sa masse et son épaisseur. Et cela nécessite un grand savoir-faire car à chaque cloche correspond une note précise.
Les grandes étapes
Le noyau
Il est constitué en briques taillées empilées, dont le centre sert à faire le feu qui sèchera le moule. Ces briques sont recouvertes d’un mélange d’argile, de crottin de cheval et de poils de chèvre qui va donner la forme intérieure de la cloche. Cette première partie du moule est recouverte d’une couche isolante pour la séparer de la fausse cloche.
La fausse cloche
Elle est constituée d’argile et est recouverte de cire. Elle occupe la place, sur le noyau, qu’aura la vraie cloche. C’est sur cette partie que sont posés les décors réalisés en cire.
La chape
Elle recouvre la fausse cloche. Elle est faite d’argile, de crottin de cheval et de poils de chèvre. Elle forme comme une carapace autour de la fausse cloche.
Pendant la réalisation de ces étapes, le Saintier fait bruler un feu de bois à l’intérieur du moule pour faire sécher toutes les couches.
Les lettres et les décors en cire font fondre et laisser leur empreinte, en creux, dans la chape. De même pour la couche de cire entre la fausse cloche et la chape. On soulève alors la chape, on casse la fausse-cloche et on remet la chape sur le noyau. C’est dans ce vide créé qu’on viendra couler le bronze.
La coulée de la cloche
Cornille Havard coule toutes ses cloches, y compris les plus grosses, la tête en bas. Cela a permis d’améliorer la musicalité des cloches. Le bronze est fondu à une température de 1200 °C. Les grosses cloches sont ensuite enterrées dans une fosse.
Un parcours de visite interactif et instructif
La fonderie Cornille Havard fait partie du réseau “Entreprise & Découverte” qui fédère les entreprises artisanales ou industrielles ouvertes au public partout en France. Ils sont donc rodés à la visite. Tout commence dès la cour de l’atelier avec la possibilité de tester les sons des différentes cloches installées à l’extérieur. Des petites, des grandes, jusqu’à la cloche monumentale qui émet un son impressionnant. Attention aux oreilles !
L’intérieur de l’atelier est resté dans son jus. Un véritable bon dans le temps durant lequel vous découvrez les outils, les techniques, les matériaux, les fours et toutes les cloches. Mais aussi les grandes fosses creusées dans le sol sui servent à cuire les cloches monumentales. C’est une vraie belle découverte sur un savoir-faire qui a presque totalement disparu.
Lorsque la visite est terminée, faites un tour dans la boutique qui propose toutes une gamme de cloches pour son entrée de porte mais aussi d’autres produits traditionnels de Normandie, comme les ustensiles de cuisine Mauviel, des boussoles, des girouettes, et d’autres objets artisanaux.
Je veux bien y aller mais c’est où Villedieu-les-Poêles ?
Fonderie de cloches Cornille Havard 10 rue du Pont Chignon 50800 Villedieu-les-Poêles
Plus d’informations
“Entreprise du Patrimoine Vivant” est une marque mise en place pour distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels. Le label est attribué pour une période de 5 ans. La marque a été créée en 2005. Pour bénéficier du label, les entreprises doivent répondre à différents critères de patrimoine économique, de maîtrise de techniques traditionnelles ou de haute technicité, d’ancrage géographique ancien ou d’une grande notoriété. Près de 1 400 entreprises ont été labellisées à ce jour.
“Entreprise & Découverte” est l’association nationale de la visite d’entreprise, qui a pour objet la valorisation et la promotion de la filière visite d’entreprise (ou tourisme de savoir-faire). Elle référence plus de 2000 entreprises ouvertes toute l’année au grand public.
Pour préparer votre visite dans la Manche, n’hésitez pas à aller regarder le site de Manche Tourisme ou de Normandie Tourisme.
Perpétuons nos savoir-faire !