Il suffit d’un billet de train pour quitter Paris et, en deux heures, se laisser gagner par un autre rythme. Une terre de plaines humides, de forêts rousses, de chapelles cachées et de grandes demeures silencieuses. Me voilà dans l’Ain, entre Dombes et Val de Saône, pour une échappée belle. Deux jours à la rencontre d’un patrimoine discret, mais bouleversant. Deux jours à pousser les portes qu’on ne regarde pas toujours, à marcher sans presser le pas, à se laisser surprendre par la beauté de certains lieux.
Jour 1 – Découverte de l’abbaye Notre-Dame des Dombes et du château de Fléchères
L’Abbaye Notre-Dame des Dombes : le silence pour seul guide
C’est une longue allée de peupliers, bordée d’étangs et de mystère. À l’horizon, une silhouette se détache : celle d’une abbaye de briques rouges, posée là comme en lisière du monde. Fondée en 1863 par des moines trappistes venus de l’Abbaye d’Aiguebelle (Drôme provençale), l’Abbaye Notre-Dame des Dombes fut dès l’origine un lieu de silence, de travail et de prière. De 44 moines à l’origine, ils ont été plus de 100 à vivre dans cet immense monastère et à assainir les eaux troubles de la Dombes.
J’entre par une petite porte, presque intimidée. L’église de briques sombres est dépouillée, et c’est ce dépouillement même qui touche. La lumière s’infiltre par des vitraux sobres, le silence est habité, vivant, vibrant. Sur les bancs, les paroissiens écoutent le prêche du père abbé. Je m’assois. Juste ça. Et je sens que ce lieu a quelque chose à dire à chacun, selon ce qu’il vient y chercher.
Tu le savais ?
Deux des moines de Tibhirine, enlevés et assassinés en Algérie en 1996, avaient vécu ici à l’abbaye des Dombes avant de partir en mission. Ce lien tragique et spirituel rappelle que la paix intérieure n’est jamais dissociée de l’engagement envers les autres. Il s’agit du Frère Christophe Lebreton et du Père Bruno Lemarchand. Une chapelle leur est consacrée à l’intérieur de l’abbaye.
En repartant, j’ai été obligée de m’arrêter dans la superbe boutique de l’abbaye des Dombes qui me faisait de l’œil depuis le début. On y trouve les produits issus du travail des membres de la communauté mais aussi des produis réalisés par d’autres abbayes françaises : du miel récolté dans les ruches du domaine, des confitures aux fruits du verger, des huiles essentielles, des tisanes, mais aussi des poteries réalisées à la main, de petits objets de prière, des icônes peintes et des livres de spiritualité.
Mais surtout la spécialité de l’abbaye Notre-Dame des Dombes, la Musculine, réalisée à base de viande et de confiture de coing et d’orange (à gouter absolument). Tout est simple, beau, soigné. Je n’ai plus envie d’en partir !
Il y a quelque chose de profondément touchant dans cette boutique. Ce n’est pas une boutique de souvenirs, c’est une prolongation du lieu : on repart avec un peu de paix, de silence, de bien-être. J’ai glissé dans mon sac un gros pot de miel et un petit ange. Un peu comme si je voulais emporter un fragment de cette atmosphère.
Adresse : Abbaye Notre-Dame des Dombes – 01330 Le Plantay
Tu le savais ?
L’abbaye cistercienne Notre-Dame des Dombes a été construite par l’architecte Pierre Bossan qui édifie à la même époque la basilique d’Ars-sur-Formans et celle de Fourvière (Lyon). Comme la Dombes ne possède ni bois, ni pierre, l’architecte se tourne vers une architecture de briques, mêlées à la pierre et au marbre, ce qui devient sa marque de fabrique. Elle est aujourd’hui occupée par la communauté du chemin neuf.
Déjeuner au Domaine du Gouverneur : une élégance paisible
C’est une autre facette de la Dombes qui m’attend au Domaine du Gouverneur. Ancien fief du gouverneur des Dombes, le chateau du Breuil est aujourd’hui un lieu de villégiature raffiné, au cœur d’un immense golf. Mais ce qui m’intéresse, c’est la table. La salle à manger, baignée de lumière, offre une vue sur une petite pelouse ondoyante. Les golfeurs ont posés leurs clubs pour une pause appréciable dans ce lieu. L’assiette est délicate et inventive.
Un parfait contraste avec la matinée spirituelle : ici, on se laisse aller à la gourmandise, au plaisir simple d’un déjeuner soigné, dans un cadre apaisant.
Adresse : Domaine du Gouverneur, Château du Breuil, 01390 Monthieux.
La chapelle Notre-Dame-de-Beaumont : un trésor au cœur du hameau
Je pensais trouver une chapelle isolée sur un coteau, perdue dans les bois. Mais non. La chapelle Notre-Dame-de-Beaumont se dresse tranquillement au cœur du hameau de Beaumont, à La Chapelle-du-Châtelard. Une petite route y mène, bordée d’herbes hautes et de haies fleuries. On la découvre presque par surprise, nichée entre quelques maisons anciennes, comme si elle faisait partie du quotidien des habitants.
Et pourtant, elle a tout d’un trésor. Construite au 15e siècle après un incendie qui détruisit la première église en 1318, elle a été patiemment reconstruite dans un style gothique encore visible dans ses voûtes sur croisées d’ogives et son chœur à cinq pans. La façade est sobre, en pierre blonde, avec un clocher modeste. Mais il suffit de pousser la porte pour entrer dans un autre monde.
Les murs sont couverts de magnifiques peintures murales anciennes : des scènes du Nouveau Testament, de l’Annonciation à la Résurrection. Les couleurs ont résisté au temps. Les visages sont fins, expressifs, comme dans les manuscrits enluminés. Il y a là une douceur et une intensité qui attirent et me font marquer une longue pause contemplative. Une inscription de messe datant de 1433 portant le nom d’Isabelle d’Harcourt, dernière dame de Thoire-Villars, est gravée dans la pierre. On lit son nom comme un écho lointain.
Adresse : Chapelle Notre-Dame du Beaumont, 01240 La Chapelle-du-Châtelard.
Tu le savais ?
Dans les années 1970, la chapelle menaçait de tomber en ruine. C’est une poignée d’habitants du village qui a décidé de la sauver. Ils ont créé une association, organisé des concerts, des brocantes, des appels aux dons. Grâce à eux, les travaux de restauration ont pu commencer en 1977. Et aujourd’hui, ce joyau tient encore debout – modeste, mais lumineux.
Le château de Fléchères : une splendeur inattendue
La surprise du jour, c’est lui. Le château de Fléchères. Au bout d’un long chemin bordé d’arbres, un portail s’ouvre. Et soudain, l’élégance. Le château surgit comme une apparition : symétrique, aristocratique, bordé de douves, flanqué de jardins ordonnés. Un vrai décor de film.
Construit entre 1606 et 1625 par Jean Sève, un riche conseiller de Lyon, il est resté presque intact. À l’intérieur, les boiseries, les meubles, les parquets craquent sous les pas. Mais ce qui emporte, ce sont les fresques. Des dizaines de fresques baroques peintes par Pietro Ricchi, dit Il Lucchese, tout droit venu d’Italie.
Elles couvrent les murs entiers, déroulent des scènes mythologiques, des paysages, des personnages en mouvement. On se croirait à Florence. Et pourtant, nous sommes dans l’Ain.
Anecdote :
Au 18e siècle, le château fut abandonné pendant plusieurs décennies. Les villageois disaient qu’il était “habité par les murs” : une manière de dire qu’on y entendait des bruits sans voir personne…
Je ressors éblouie. La lumière de fin d’après-midi glisse sur les douves et les pierres. Je traverse la cour et contourne le chateau pour découvrir le jardin. Il est là, paisible, parfaitement dessiné, bordé de buis et de haies basses. Mais ce sont surtout les rosiers qui m’arrêtent. Ils grimpent le long des murs, s’échappent des massifs, éclatent en bouquets denses dans toutes les teintes : blanc crème, rose tendre, rouge profond. L’air embaume. Je m’assois un instant sur les transats posés ici et là par le propriétaire. Le château est derrière moi, les fleurs devant. Et pour une fois, je ne prends pas de photo. Je me contente de respirer.
Adresse : Château de Fléchères, Allée de Fléchères – 01480 Fareins.
L’air se fait plus frais. Il est temps de rejoindre ma chambre d’hôtes.
Une nuit à Reyrieux, dans la chambre d’hôtes “Une Halte”
Le nom dit tout. Une halte. Une grande maison nichée dans un écrin de verdure, où l’on pose ses valises sans se presser. Ici, tout respire la simplicité bien pensée, l’accueil sincère, le goût des choses faites avec cœur.
Je suis arrivée en fin de journée, juste à temps pour l’apéritif dans le pool house, au bord de la piscine. Le soleil déclinait doucement, le verre était frais, le chien de la maison, Simon, à mes côtés.
Puis vint le dîner. Mes hôtes avaient préparé un repas aux saveurs asiatiques, délicat et inattendu. Je me suis régalée. On a parlé de voyages, de villages, de projets. Comme si on se connaissait déjà.
Le lendemain matin, avant de repartir, j’ai découvert le coin “hébergement insolite” : deux caravanes vintage soigneusement restaurées, installées sous une toile de toit tendue entre les arbres, avec un brasero prêt à être allumé pour les soirées d’été. L’ensemble est charmant, plein de poésie. Un petit monde à part, parfait pour une nuit décalée, les yeux dans les étoiles.
Adresse : Chambre d’hôtes Une Halte, 667 Montée des Balmes – 01600 Reyrieux.
Jour 2 – Visite d’Ars-sur-Formans et exploration de Trévoux
Ars-sur-Formans : sur les traces du curé d’Ars
Le lendemain matin, direction Ars. Le ciel est lumineux, le soleil pointe le bout de son nez. Ça va bien à ce village. Tout ici tourne autour d’un homme : Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars, canonisé en 1925.
Né en 1786, Vianney arrive à Ars en 1818, et y passe toute sa vie. Il devient célèbre dans toute la France pour ses confessions, ses sermons, sa piété, ses pénitences. Les pèlerins accourent par milliers pour le voir, se confesser, recevoir une bénédiction. On dit qu’il aurait confessé plus d’un million de personnes en 40 ans de présence dans le village.
Encore aujourd’hui, les voyageurs se pressent pour visiter les lieux, assister aux messes. Plus de 350.000 visiteurs par an (pèlerins et prêtres) viennent ici du monde entier.
Jean-Marie Vianney a fondé un orphelinat et deux écoles dans le village. C’était très important que les enfants puissent être scolarisés jeunes car lui avait attendu d’avoir 17 ans pour pouvoir apprendre à lire et à écrire.
La basilique : beauté visible, ferveur invisible
En arrivant sur la place, la basilique Saint-Sixte attire aussitôt mon regard. Majestueuse mais sans ostentation, elle mêle plusieurs styles, du roman au néo-byzantin, car elle a été agrandie autour de l’église paroissiale d’origine. Sa coupole dorée, son clocher élancé, ses façades claires lui donnent une allure à la fois solennelle et lumineuse.
À l’intérieur, l’émotion monte vite. Sous un baldaquin, le corps du saint curé repose dans une châsse-reliquaire en bronze doré , vêtu de ses habits sacerdotaux. On est frappé par le contraste entre la richesse symbolique du lieu et la simplicité de l’homme qu’il célèbre. Les voutes colorées sont somptueuses. Grâce aux jeu de perspectives des colonnes, le regard est immanquablement attiré vers le haut.
A l’extérieur, dans une magnifique petite chapelle, son cœur, conservé comme une relique, attire les fidèles dans un recueillement silencieux.
Des lieux qui contrastent avec la petite maison du curé, restée intacte. On y découvre sa cuisine, sa chambre (un lit, une table, des livres, quelques vêtements, un crucifix). Rien d’autre. L’essentiel. L’extrême dépouillement. Il vécu dans cette maison pendant 41 ans. La Maison est labellisée « Maison des Illustres » depuis 2014.
Adresse : Basilique Saint-Sixte, Ars-sur-Formans.
Tu le savais ?
Jean-Marie Vianney est le saint patron des curés de l’Univers depuis 1929. En 2025, on célèbre les 100 ans de sa canonisation par le Pape Pie XI.
Déjeuner à Trévoux – Salon de thé l’Arthé
Après cette plongée dans la ferveur, j’ai besoin d’un lieu simple et doux. À Trévoux, je pousse la porte du salon de thé l’Arthé. Des meubles chinés, des ardoises aux murs, des plats faits maison, une carte courte mais délicieuse.
Je déjeune en terrasse. Je choisis un croque-monsieur au pesto, un thé vert. Autour de moi, des habitants qui discutent, des familles, des lecteurs. C’est un endroit comme on les aime : sincère, chaleureux, accessible. Un cocon pour recharger les batteries avant de partir explorer la ville.
Adresse : Salon de Thé Arthé, 10 rue du Port – 01600 Trévoux.
Trévoux : mille ans d’histoire sur les rives de la Saône
Trévoux, c’est l’un de ces endroits qu’on ne voit pas venir. Une petite ville paisible posée en balcon au-dessus de la Saône, avec ses maisons de pierre, ses ruelles tranquilles, son église sans clocher. Et pourtant… Derrière cette douceur, un passé flamboyant. Trévoux a été la capitale de la principauté de Dombes, un État souverain jusqu’au 18e siècle, dotée d’un parlement, d’une imprimerie prestigieuse, d’une monnaie, et d’un goût marqué pour le savoir.
Je commence ma visite en traversant la passerelle qui enjambe la rivière. La vue est splendide : toits rouges, collines à l’horizon, lumière qui danse sur l’eau. On sent tout de suite que cette ville a quelque chose à dire.
Je rejoins le Carré Patrimoines, une petite structure muséale nichée dans l’ancienne chancellerie. Elle raconte avec clarté l’histoire complexe de Trévoux : son indépendance, ses alliances, ses heures de gloire. Une bonne mise en bouche avant de passer aux trésors concrets.
Et quels trésors ! L’Apothicairerie est un monde à elle seule. Rangées de pots en faïence, remèdes oubliés, boiseries d’époque… On se croirait dans un cabinet de curiosités du 18e siècle. Tout est posé, comme si le médecin allait revenir pour nous concocter des remèdes miraculeux.
Puis vient le musée Trévoux et ses trésors, une vraie pépite. J’y découvre des bijoux en fil d’or – spécialité locale qui faisait la réputation des orfèvres de Trévoux – mais aussi des instruments scientifiques, des objets de la vie quotidienne, et des documents rares issus de l’imprimerie qui publiait ici, autrefois, un dictionnaire célèbre dans toute l’Europe. J’ai même eu l’occasion de frapper ma monnaie (sur un papier).
Tu le savais ?
Trévoux est l’un des rares lieux en France à avoir accueilli une imprimerie jésuite indépendante, dont le Dictionnaire de Trévoux influença même les encyclopédistes. Une ville savante avant l’heure.
Je poursuis ma visite dans l’ancienne salle du Parlement de Dombes. Elle est superbement bien conservée. On y entre comme dans un décor de théâtre : plafonds à caissons, murs habillés de tentures, bancs alignés pour les avocats, décors solennels. Ici, on jugeait, on plaidait, on débattait. Le droit comme un spectacle.
Enfin, je grimpe – en voiture, je l’avoue – jusqu’aux ruines du château fort qui domine la ville. Il faut imaginer ici une forteresse imposante, protectrice, veillant sur la vallée. Il n’en reste que des pans de murs et un donjon, mais la vue depuis là-haut mérite l’effort : la Saône déroule ses méandres, et Trévoux se devine en contrebas, tranquille et pleine de secrets.
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Informations complémentaires
Ma visite de ce petit coin de l’Ain s’achève par ce petite ville. Après ce long week-end bien rempli, je repars la tête remplie de merveilleux endroits. Si vous souhaitez, comme moi, découvrir cette partie de l’Ain en deux jours, suivez mon itinéraire. Il est parfaitement réalisable dans le temps imparti. Et pour plus d’informations, n’hésitez pas consulter les sites internet de l’ Office de Tourisme d’Ars Trévoux, de Dombes Tourisme et de l’Agence de Développement Touristique du département de l’Ain.