Taillandiers d’Armes – Rencontre avec l’un des 4 derniers en France

Pascal Turpin est Taillandier d’Armes. L’un des 4 derniers en France. Autant dire qu’il a un savoir-faire peu courant. Et pourtant, ce n’était pas sa vocation. Découvrons ce métier ancestral qui a mené Pascal Turpin à rencontrer les plus grands de ce monde. Rencontre dans la Sarthe avec un homme au caractère bien trempé, comme ses armes.

Qu’est-ce qu’un Taillandier d’Armes ?

Il faut commencer par expliquer qu’un Taillandier est l’une des 3 familles appartenant au terme générique de forgeron (artisans travaillant dans une forge).

  • La première famille est celle des ferrons et des fèvres, spécialisés dans la fabrication d’objets agraires ou domestiques (maréchalerie, orfèvrerie, socs de charrues, serrures…).
  • La deuxième famille est celle des taillandiers, spécialisés dans la fabrication d’armes et d’objets taillants et tranchants (épées, haches, pelles, bèches…).
  • Et enfin, il y a les armuriers, qui sont des forgerons spécialistes des armures, casques, boucliers, côtes de mailles…

Le Taillandier d’Armes est donc un Maître Artisan qui réalise des objets taillants et tranchants (dagues, épées, armes médiévales, etc..). C’est un savoir-faire ancestral qui n’est détenu que par très peu de personnes de nos jours.

Avant 1573, on appelait ces personnes des « fourbisseors ou des fourbisseurs ».  Puis en 1573, par un décret royal, on distingue la fabrication (fait par le taillandier) et le montage (effectué par le fourbisseur). Ils exerçaient tous deux dans une Taillanderie.

A partir du 17e siècle (sous Louis XIII), les Taillandiers d’Armes vont commencer à disparaitre. Louis XIII va créer des grandes manufactures car les régiments (les mousquetaires du roi, par exemple) sont régis par des règlements (tenues règlementaires, etc..). Les Taillandiers sont donc intégrés dans des manufactures (kligenthal, Saint-Etienne, Tulles, Versailles, etc…). C’est à Versailles qu’on produisait les plus belles armes du 1er empire.

Aujourd’hui, il n’y a plus de manufactures en France. Et l’une des dernières manufactures, celle de Saint-Etienne, a fermé dans les années 2000.

Comment devient-on Taillandier d’Armes ?

Mon parcours est très singulier. Mon père était décorateur et architecte (diplômé de l’école Boulle) et ma mère antiquaire. J’ai baigné dans l’art dès mon enfance.  Mais au départ, j’ai choisi d’autres voies, j’ai pas mal « bourlingué ». Mais j’ai toujours eu une passion pour les armes. J’ai d’abord fait plusieurs années dans l’armée avant de la quitter pour exercer différents métiers. Jusqu’à devenir secrétaire privé d’un milliardaire, puis chef de protocole pour des ministres et des présidents. J’étais très souvent en déplacement et au bout d’un moment, il a fallu que je me stabilise.

Et puis un jour, il y a environ 25 ans, j’ai vu un reportage sur un Taillandier. Son métier m’a beaucoup intéressé et j’ai décidé d’aller le rencontrer en Corrèze. Il a accepté de me former. Pendant cinq ans, il m’a transmis la technique mais surtout, l’âme de ce métier

Comme le veut la tradition, j’ai été nommé en place publique par mon maitre d’apprentissage, comme cela se faisait au Moyen-Âge. Ça s’est passé à Donzenac en Corrèze. Et comme le veut aussi la tradition, c’est lui qui est venu allumer le feu dans ma forge.  

Le Taillandier d’Armes à quelques privilèges, pouvez-vous nous expliquer lesquels ?

Ce sont des privilèges qui étaient établis par écrit (des octrois royaux) au moyen-âge et qui peuvent faire sourire aujourd’hui.

  • Le Taillandier est le seul forgeron qui a le privilège de porter l’épée, comme un noble.
  • Mais aussi de rentrer à cheval dans une église. Les gens d’un certain rang entraient à cheval dans les églises. Cela montrait la puissance du noble.
  • Il a le droit de rester couvert devant un roi et de le tutoyer. Cela vient du fait qu’un roi avait besoin d’une épée le jour de son sacre et que le Taillandier d’Armes était la personne qui lui fournissait cette épée.
  • Il peut aussi faire du feu dans une église. Quand il y avait des réparations à effectuer dans église, il n’y avait que le Taillandier et le Vitrailliste qui avaient le droit de faire du feu.
  • Et dernier privilège, il peut se faire enterrer avec son épée et ses outils. Il existe encore quelques sépultures (comme celle du musée de Normandie à Caen) ou on peut voir un Taillandier avec son arme.

Quelles sont vos créations ?

Ma dernière création est le couteau de Montmirail, un couteau d’inspiration médiévale. Et il est tout récent car je l’ai créé en 2019.

L’une de ses particularités vient du fait qu’il a un design spécifique. La forme de sa lame s’inspire des objets tranchants du 12e au 14e siècle. C’est-à-dire, une forme très pointue qui permettait d’utiliser le couteau comme une fourchette. Il faut savoir que la fourchette n’apparait seulement qu’au 14e siècle à la renaissance italienne, et donc qu’avant ça, les couteaux servaient aussi à piquer la nourriture.

Son autre particularité est son manche. Le bois provient des anciennes poutres en chêne du château de Montmirail. Elles ont entre 150 et 250 ans. Les amateurs de couteau peuvent donc « acheter un bout du château ».

Enfin, très peu de villages possèdent aujourd’hui leur propre couteau, hormis Laguiole, Montrons, Thiers, Opinel (qui représente la Savoie). Je trouve très intéressant que Montmirail puisse avoir le sien et qu’il soit le plus authentique possible. A l’époque, on ne pouvait pas fabriquer des armes sans octroi royal et le couteau de région n’existait pas. On avait surtout des couteaux de métiers.

Combien de temps mettez-vous à réaliser un couteau, comme celui de Montmirail ?

Il faut environ 6 heures de travail pour réaliser un couteau. La lame doit être forgée, trempée (permet de solidifier les molécules de métal), mais aussi polie et affutée. Il faut ensuite confectionner le manche. On prépare des plaquettes de chêne qu’on va monter sur des platines métalliques. Elles sont ajustées à la main.

Quels sont les projets les plus fous sur lesquels vous ayez travaillé ?

Comme mon savoir-faire est assez rare, j’ai participé à de nombreux évènements commémoratifs dans plusieurs pays. Notamment aux États-Unis, pour le gouverneur du Tennessee. Ou encore lors des commémorations du débarquement en Normandie. A cette occasion, j’ai réalisé une série de couteaux qui ont été remis à George W. Bush et qui sont exposés à la Maison Blanche. Un autre modèle est exposé dans le musée des parachutistes de Sainte-Mère-Eglise. Un autre a été remis au secrétaire américain aux anciens combattants. Et d’autres modèles à des anciens combattants. C’était la reproduction du US M3 qui était le couteau officiel des parachutistes du débarquement. La lame était faite avec un morceau de ressort de Jeep qui avait participé au débarquement.

Mais j’ai aussi participé à de gros projets cinématographiques. Comme celui du film de Ridley Scott « Kingdom of Heavens » ou encore avec Tom Hanks pour la présentation officielle de la série « Band of Brothers » à Utah Beach.

J’ai également participé à de nombreuses émissions de télévision (comme à celle de la “chasse au trésor” par exemple).

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Que conseilleriez-vous aux jeunes qui veulent devenir forgeron ou taillandier comme vous ?

Je conseille d’obtenir un CAP de coutellerie industrielle à Thiers. Ou un diplôme d’armurier à l’école de Liège. Ces formations donnent les bases du métier. C’est important d’obtenir un diplôme car le diplôme sera toujours reconnu (même si vous changez de métier). Et vous avez le temps de savoir si le métier vous plait.

Ensuite, il faut se faire connaitre. J’ai l’habitude de dire que « le faire-savoir est plus chronophage que le savoir-faire ». Il faut savoir faire parler de soi pour être reconnu dans le métier, comme dans tout métier artistique d’ailleurs.

Enfin, j’encourage les jeunes, et surtout les jeunes femmes, à se lancer dans cette filière, qui reste majoritairement masculine. Dans la forge, la personne qui travaille avec moi est une jeune femme, Cassie. Et j’en suis très fier. C’était d’ailleurs la seule femme de sa promotion. Elle travaille à la création des manches sur le couteau de Montmirail et est très compétente. De plus, elle apporte un œil « féminin » sur un objet qui reste majoritairement « masculin ». Les clients adorent cette touche plus « féminine » dans la réalisation.

Où rencontrer Pascal Turpin ?

Après avoir travaillé à Montmirail (dans la Sarthe) pendant 4 ans, Pascal Turpin vient de s’installer à Fresnay-sur-Sarthe, un village qui est labellisé “Ville et Métiers d’Art”.

Informations complémentaires

Le métier de Taillandier d’Armes est l’un des Métiers d’Art que vous retrouvez sur le site de l’Institut National des Métiers d’Art (INMA).

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